par Aurélien Chapuis alias Le Captain Nemo
Depuis quelques années, le masque est de plus en plus porté dans la rue pour combattre le froid ou les microbes, entre cagoule, passe montagne, cache cou, masque de moto... On vous explique comment cette mode est devenue omniprésente notamment via la musique.
L'anonymat de MF DOOM à Daft Punk
Le masque est présent dans la pop culture depuis le début. On retrouve très tôt des exemplesa précis dans les contes, légendes et romans à travers les siècles comme le Masque de Fer d'Alexandre Dumas. Plus proche de nous, c'est sûrement via le Hip Hop que le personnage MF DOOM a popularisé le masque comme emblème musical.
Après un début de carrière florissant avec le groupe KMD puis une horrible tragédie, la mort de son frère dans un accident, Daniel Dumile alias Zev Lov X disparait des radars complètement. A la fin des années 1990 apparait alors un personnage masqué dans les open mics de New York, il se fait appeler MF DOOM en référence au Docteur Fatalis, personnage de comics génial et terrifiant en même temps.
C'est Daniel Dumile qui se réinvente avec une nouvelle identité, une autre personnalité. Ainsi MF DOOM va devenir légendaire en quelques années grâce à ce maintien d'un anonymat, sa multiple identité et ce mystère total qui l'entoure. Le masque lui offre une nouvelle vie, une vengeance froide, une distance entre sa personne et son art.
De l'autre côté de l'Atlantique, on aperçoit le même phénomène avec deux jeunes prodiges de la musique électronique qui vont petit à petit devenir des robots et disparaitre entièrement derrière des casques brillants. Les Daft Punk inventent une nouvelle voie de la starification pop, entre anonymat bienfaiteur, vraie prise de position progressiste et histoire de science-fiction autour du rapport entre l'homme et la machine. C'est aussi un puit de références pop, entre Star Wars, Phantom Of Paradise, Hajime Sorayama et Space.

Avec MF DOOM et Daft Punk, le concept de masque dans la musique devient une véritable tendance qui trouve ses adeptes petit à petit dans les années 2000. Le masque devient symbole d'une liberté créative totale, d'un alter ego complet qui pousse les limites de la pop culture. Les artistes deviennent des personnages.
Le masque comme objet de luxe
Dans le milieu de la mode, le masque ou la cagoule ont toujours été des accessoires réguliers dans les collections, notamment chez Maison Margiela, spécialiste du détournement des objets du quotidien. Le concept : masquer les mannequins, au début avec des collants, pour qu’on se concentre sur les vêtements.
C'est avec Margiela aussi que le masque va se transformer en véritable élément de la pop culture en 2013 quand Kanye West s'en empare pour la tournée exceptionnelle de son album Yeezus.
Kanye est alors en train de modifier toute sa musique, sa communication, son art et le masque de Margiela est pour lui une véritable déclaration, entre faux anonymat, filiation daftpunkienne et supervillain. Et une référence peut-être au manga 20th Century Boys de Naoki Urasawa dans la narration et le visuel. Le masque est alors un objet de luxe, entre joaillerie, technologie et exception. C'était la dernière étape avant qu'il ne redevienne un véritable élément de la rue.
L'esthétique de la Drill anglaise
Et cette appropriation par la rue passe en Europe par la grande épopée du mouvement Drill en Angleterre. Au milieu des années 2010, l'esthétique londonienne s'infuse dans le rap américain via ses têtes de proue comme Kanye West, Drake ou ASAP Rocky. On retrouve ainsi régulièrement dans leur musique des touches de Grime, de 2 Step ainsi que le retour à l'envoyeur de la Drill, extraite de Chicago pour être revisité avec les infrabasses purement british.
A côté de cette relecture musicale du bouillon de culture anglais, il y a aussi une véritable inspiration visuelle et vestimentaire. Les vêtements noirs, les silhouettes longilignes, les doudounes North Face reviennent sur le devant de la scène. Et avec deux accessoires qui reprennent des codes de braqueurs : les gants et la cagoule.
Le mouvement Drill anglais est réputé pour avoir été développé par les gangs de Londres, des jeunes adeptes du braquage, du racket, du combat à l'arme blanche et du trafic de drogue. Toute une esthétique très anglaise se créé autour de ce cliché, parfois très réducteur, d'autres fois assez proche du style de vie de ces rappeurs d'un nouveau genre.
Et parmi les tendances persistantes de ce nouveau mouvement, on retrouve le masque, la cagoule, le cache cou, tout matériel utilisé d'habitude pour contrer le froid ou le vent notamment dans les sports mécaniques, grosse influence de la Drill UK.
Avec le masque sous toutes ses formes, le drilleur UK n'a qu'une envie : la recherche de l'anonymat, surtout face à la Police mais aussi face à ses adversaires, les autres gangs ou bandes qui chercheraient des représailles. La cagoule devient alors un étendard du gangsta rap anglais qui va s'infiltrer doucement aux Etats Unis ainsi qu'en France où le nombre de rappeurs masqués va exploser dans la deuxième partie des années 2010. Le mélange de l'influence des sports mécaniques et de l'anonymat de la rue va produire des rappeurs aussi différents que Kerchak, Luther, Menace Santana, Winnterzuko, So La Lune, Houdi ou Ziak.
La banalisation du masque suite à la pandémie
La cagoule, le masque, le cache cou, la balaclava sont alors partout dans l'industrie musicale et donc chez les jeunes fans de rap anglais, français et américain. Mais comment expliquer que le masque s’est intégré au lifestyle du reste de la société ? La production de ce type d'accessoires a augmenté au début des années 2020 à la fois grâce à la tendance esthétique mais aussi pour répondre aux besoins de la pandémie.
En effet, une fois passé le masque chirurgical jetable, le monde entier s'est tourné vers des protections plus agréables qui peuvent servir à la fois contre le froid, les virus et les microbes.
Des accessoires de plus en plus techniques sont proposés et la fusion du gorpcore, de la drill UK, des sports mécaniques et de la recherche d'anonymat ont offert une tendance durable du masque dans la rue. De MF DOOM à Kerchak en passant par ce bon vieux pangolin.